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La décennie 90 commence, en effet, assez mal sur le plan de la stabilité internationale. Et l’Europe est de moins en moins épargnée par ces événements. Si elle avait déjà vu certains vétérans afghans revenir en son sein, désormais parmi les immigrants en provenance des pays arabes, se trouvent des islamistes qui y fuient les répressions politiques subies. Une présence islamiste d’abord introduite en Europe par des Égyptiens (issus, entre autres, de groupes comme les Frères Musulmans ou le Djihad islamique) et des Algériens (partisans du FIS algérien, voire de groupes terroristes comme Takfir wal-Hijra ou le GIA, etc.). Et certains d’entre eux ne comptent absolument pas arrêter leur lutte nationale, voire leur participation à un djihad de plus en plus globalisé, à partir de leur nouveau sanctuaire. Pour une partie des militants, le choix de s’installer en Europe est aussi motivé par la volonté d’y chercher des relais internationaux et financiers.
Le territoire européen a d’ailleurs l’avantage de permettre à ces individus de se perdre au sein des grandes communautés musulmanes issues des vagues d’immigration qui remontent aux années 50-60. Une période où certains gouvernements ont accueilli des milliers d’immigrants, sur base d’accords bilatéraux, pour venir travailler temporairement - dans un premier temps -dans leurs entreprises lourdes. Une population qui s’y est finalement souvent installée définitivement, à la suite de l’interruption de ces accords dans les années 70, et de la possibilité d’opérer des regroupements familiaux.
Le milieu des années 90 donne, par ailleurs, lieu au franchissement d’une nouvelle étape dans la réflexion des islamistes les plus radicaux. En effet, la pensée se fait qu’il est désormais possible et nécessaire, pour mieux lutter contre des Etats nationaux, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, jugés impies, autant que pour favoriser l’expansion ultérieure de la doctrine salafiste djihadiste, de s’attaquer d’abord à leurs soutiens extérieurs les plus puissants. Soit certains pays occidentaux, au premier plan desquels on trouve les Etats-Unis et la France. Israël quant à lui est jugé un ennemi naturel depuis le début. Dès lors, la doctrine de l’« ennemi lointain » va connaître ses premiers partisans. En ajout donc d’une doctrine de l’« ennemis proche » jusqu’à présent suivie.
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Les Etats-Unis ont déjà eu l’occasion, au début de la décennie 90, de constater le changement de stratégie au sein de la mouvance djihadiste, qui ne se préoccupe plus seulement de l’« ennemi proche », mais aussi de l’« ennemi lointain ». En effet, l’attentat de 1993 contre le World Trade Center de New-York est le premier attentat rentrant dans cette logique et se déroulant directement sur le sol de cet ennemi lointain. Un attentat pour lequel on ne connaît toujours pas précisément l’implication d’Al Qaida.
En Europe, la France est l’un des rares pays à avoir déjà subi sur son sol une vague d’attentats islamistes dans les années 80. Seulement, il s’agissait alors de terrorisme dirigé au départ de l’Iran et de la Syrie dans un objectif de limiter l’implication de la France dans les affaires du Moyen-Orient, y compris du Liban alors en guerre civile.
Or, dans les années 90, les griefs ne sont plus mêmes. Désormais, ce sont plutôt des groupes islamistes algériens, comme le Groupe Islamique Armé (G.I.A.), qui trouvent que la France soutient trop, tant militairement que financièrement, le gouvernement algérien. Un gouvernement confronté à une véritable situation de guerre civile depuis qu’il a refusé la victoire anticipée du Front Islamique du Salut (F.I.S.), lors des élections qu’il a organisées en décembre 1991. En décembre 1993, le chef du GIA, Mourad Si-Ahmed, qui a fait ses armes en Afghanistan durant cinq ans, sous les ordres de Gulbudin Hekmatiar, chef du Hizb-i-islami, averti d’ailleurs les Français qu’ils sont désormais des cibles du GIA.
Le GIA lance d'ailleurs, dès l’année suivante, l’offensive contre l’Etat français.
D’abord, au départ du territoire algérien, lors d’une opération d’un commando du GIA qui détourne un avion d’Air France (Vol AF 8969), parti d'Alger, avec pour dessein de le faire s'écraser sur la tour Eiffel. Une entreprise qui se termine finalement par la reprise du contrôle de l’avion par le GIGN sur l'aéroport de Marseille-Marignane.
Ensuite, en 1995, avec une nouvelle vague d’attentats qui se réalisent directement sur le sol français. On peut ainsi reprendre, parmi les plus importants : l’assassinat d’un imam jugé trop modéré (11 juillet), un attentat à la bombe dans la station de métro Saint-Michel à Paris (8 morts, 86 blessés - 25 juillet), un autre du même type près de l’Arc de Triomphe (17 blessés - 17 août), ou enfin une tentative d’attentat contre un T.G.V. reliant Paris à Lyon (26 août). Avec des opérations ne se terminant qu’en octobre de la même année.
On peut d’ailleurs noter que durant cette période, le GIA dispose déjà de ses propres canaux d’information en Europe, à travers surtout la revue Al-Ansar produite
au départ de l’Angleterre.
Un autre exemple de cette influence idéologique djihadiste salafiste en France est le cas du converti français, Lionel Dumont, venant de Roubaix, qui, après son retour en France de Bosnie, y forme le « gang de Roubaix », surtout composé de français d’origine maghrébine, afin de mener des activités terroristes et de grand banditisme. Un gang où se trouve aussi un autre converti français, également vétéran de Bosnie, Christophe Caze. Les deux ayant été proche de l’organisation islamiste Takfir wa Hijra (« Expiation et Exil »).
Le groupe de Roubaix se démarque cependant par des activités qui ressemblent d’avantage à du grand banditisme. D’abord avec plusieurs attaques à main armée d’une rare violence dans des grandes surfaces du Nord-Pas-de-Calais en janvier et février 1996. Ensuite, franchissant une nouvelle étape, avec l’attaque au lance-roquette d’un transporteur de fonds blindé, le 25 mars 1996, suivi, trois jours plus tard, d’une tentative d’attentat à la voiture piégée avec trois bonbonnes de gaz devant le commissariat de Lille, la veille de la tenue d’une réunion du G7 dans la ville. Cependant, le lendemain même de cette dernière opération, les policiers du Raid donnent l’assaut contre la maison de Roubaix où le groupe a trouvé refuge, ce qui provoque le démantèlement de fait du groupe. Quatre membres périssent carbonisés et deux sont grièvement blessés. Les autres partent en cavale. Christophe Caze est tué peu après dans une fusillade avec des gendarmes belges et un autre membre, Omar Zemmiri, qui l’accompagnait est arrêté. Trois autres membres arrivent à éviter la justice jusqu’en 2001. Et Lionel Dumont jusqu’en 2005.
Mais le climat en France n’est pas perturbé uniquement par l’émergence de cette violence qui s’inscrit plus ou moins dans cette nouvelle orientation des courants djihadistes. En effet, le pays commence également à s’inquiéter, dès 1989, du port du voile islamique (coiffé sur le modèle iranien)
jugé de plus en plus visible auprès des étudiantes musulmanes. D’un côté, les autorités craignent une montée du fondamentalisme religieux musulman - à une époque où l’affaire Rushdie bat son plein - et souhaitent en restreindre le port à travers une réaffirmation des valeurs laïques défendues par l’Etat français. D’un autre côté, si ce port du voile - d’usage traditionnel - s’inscrit en accord avec la montée globale d’un renouveau du religieux, poussé par le courant wahhabite et accéléré par les effets de la révolution iranienne, au sein des communautés musulmanes, il se situe aussi dans la veine d’un certain désenchantement ressenti quant aux bienfaits de l’intégration au sein de la société française. Le sentiment diffus au sein des communautés musulmanes étant souvent celui de se sentir considéré comme des citoyens de seconde zone.
Cependant cette polémique reste ambiante sans être jamais résolue. Et elle ressurgit chaque fois que des étudiantes musulmanes sont expulsées de leurs écoles du fait de leur port du voile, soit en 1989, en 1990, en 1994, etc. Connaissant un nouvel épisode en mars 2004 avec le vote d’une loi encadrant désormais le port de signes religieux ostentatoires (qui vise entre autres ce voile islamique) au sein des établissements scolaires publics.
Seulement, si cette polémique ne résulte en rien de concret durant les années 90, elle ne fait qu’amplifier les incompréhensions des deux côtés. Et elle pousse, entre autres, certains musulmans à se radicaliser, ressentant la politique française discriminante face
aux pratiques jugées traditionnelles de l’Islam.
Ainsi, les années 90 sonnent pour la France l’émergence d’une nouvelle violence mélangeant religion, djihadisme, intérêts nationaux et grand banditisme d’un côté, mais aussi le début d’une certaine incompréhension et tension entre la société française de souche et sa nouvelle population musulmane, récemment installée.
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À partir de la fin des années 80 et le début des années 90, de nombreux militants islamistes, entre autres, intellectuels commencent à s’installer en Angleterre. Surtout à Londres. La population musulmane nationale est alors estimée à près d’un million et demi d’individus, provenant à 80% du sous-continent indien, entre autres du Pakistan, du Bangladesh et d’Inde. De ces militants islamistes, pour la plupart d’origine arabe, une partie est passée par les camps djihadistes afghans. D’ailleurs, le terme Londonistan, qualificatif donné d’abord par des journalistes arabes, a commencé à être utilisé dans le sens où les idées défendues sont proches de celles du modèle afghan et de son idéologie, le salafisme djihadiste.
Depuis la capitale britannique, des prédicateurs et leurs militants, toujours en quêtes de territoires favorables, vont ainsi commencer à défendre des causes comme la Bosnie, la Tchétchénie, le Kosovo, l’Ouzbékistan ou le Cachemire.
L’Angleterre en général - et Londres en particulier - s’est d’ailleurs imposée aux yeux de ces militants par son maillage médiatique et bancaire arabo-musulman, de même que par sa législation en matière d’immigration très souple, et par les espaces de représentation dont jouissent les musulmans. Enfin, la capitale britannique se révèle aussi un terrain favorable depuis la radicalisation d’une partie de la population musulmane à la suite de l’affaire Rushdie.
L’affaire Rushdie

Cette affaire remonte à février 1989. Cet écrivain musulman, né en Inde, qui vit alors en Grande-Bretagne, se voit condamné à mort - pour son livre, Les versets sataniques, publié en 1988 - par l’ayatollah Khomeini qui lance une fatwa à cet effet :
« J'informe le fier peuple musulman du monde entier que l'auteur du livre Les Versets sataniques, qui est contraire à l'Islam, au Prophète et au Coran, ainsi que tous ceux impliqués dans sa publication et qui connaissaient son contenu sont condamnés à mort. (...) J'appelle tout musulman zélé à les exécuter rapidement, où qu'ils soient. (...) Tout, qui serait tué dans cette voie, sera considéré comme un martyr. »
Le crime de Rushdie
est d’avoir jugé insultant sur la personne
du Prophète et pour l’Islam. Et la condamnation s’accompagne d’une récompense d’un million de dollars. Cependant, cette action a surtout pour fonction de réaffirmer l’influence iranienne dans l’ensemble
du monde arabo-musulman.
Et l’opération s’avère rapidement obtenir le soutien de franges de la communauté musulmane. Dès l’annonce de cette nouvelle, des émeutes et des manifestations contre Rushdie commencent en effet à avoir lieu en Angleterre, au Pakistan, en Inde, etc. Viking/Penguin, l'éditeur
britannique des Versets sataniques, reçoit des menaces quotidiennes. Des librairies aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne sont victimes d'attentats à la bombe. Les premières victimes de la fatwa ne se font d’ailleurs
pas attendre. Ettore Capriolo et le Professeur Hitoshi Igarashi, respectivement
traducteurs italiens et japonais des Versets sataniques, sont
brutalement attaqués en juillet 1989. Capriolo est sévèrement blessé, Igarashi est tué. L’écrivain Rushdie rentre dans une semi clandestinité, protégé par les services secrets britanniques. Dans une affaire en suspens jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, les militants islamistes, forts de ce climat, s’implantent progressivement au sein de la population musulmane britannique. Un Parlement musulman est d’ailleurs inauguré en 1992. Et bien qu’il ne dispose d’aucune prérogative officielle, il démontre la volonté d’une partie croissante de cette communauté de créer un organe politique symbolique chargé de discuter les problèmes de relations entre société occidentale et musulmans en quête d’identité. Un organisme qui montre cependant très vite sa véritable orientation politique, puisque la revendication de l’instauration d’un Etat islamique (sic) en Grande-Bretagne devient finalement l’une de ses principales demandes. Et si cette initiative garde tout de même une portée relative, elle démontre cependant que Londres est en proie de devenir l’une des principales chambres d’échos des revendications islamistes en Europe occidentale. La capitale n’est cependant pas la seule ville britannique touchée par ce phénomène. Leicester, Bradford et Birmingham deviennent aussi progressivement de hauts lieux de diffusion des idéaux
islamistes.
Il faut cependant remarquer que les militants islamistes - qui défendent
un programme politique - se partagent au départ entre idéologies différentes. Certains souhaitent essentiellement la constitution d’oppositions aux régimes musulmans, sous la forme de groupe d’opposition en exil. D’autres préfèrent plutôt se concentrer sur la formation de groupes de relais soutenant les djihads armés
dans tout le monde musulman.
Le premier courant se structure autour d’islamistes nationalistes qui recomposent leur structure idéologique à Londres. Ils constituent une sorte de relais idéologique et financier de leurs partisans qui continuent à mener
le djihad dans leurs pays respectifs.
L’autre courant majeur est celui de l’internationalisme. L’appartenance nationaliste s’y efface donc. Le but est désormais d’instaurer une « révolution islamique mondiale » sans distinction partisane qui complique la restauration de l’unité de l’Oumma (la communauté musulmane) - un rêve auquel songent nombres d’islamistes. Une revendication que l’on
retrouve dans les expressions de djihad global ou de front islamique mondial.
Des idées qui commencent d’ailleurs, mondialisation oblige, à être largement défendues à travers des médias
comme Internet.
Le courant internationaliste présent à Londres
On va d’avantage se pencher sur ce dernier courant. Très vite, ce courant, d’inspiration salafiste, arrive à se constituer territorialement, dans une ville comme Londres, à travers le contrôle d’un certain nombre de mosquées et la mise en place d’associations partisanes. Le mouvement est mené par un cheikh égyptien,
Abou Hamza al-Masri (l’Egyptien). Ce dernier prend d’ailleurs entre autres le contrôle de la mosquée de Finsbury Park. Et avec des prédicateurs comme Abou Qatada ou Omar Bakri, la défense de la cause islamiste en Algérie, en Bosnie, en Tchétchénie ou au Cachemire commence à avoir un écho
public croissant.
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Salafisme (salaf sâlih : pieux ancêtres) : Il s’agit d’une lecture fondamentaliste des Textes de l’islam rejettant tout effort d’interprétation - nouvelle ou moderne - considéré comme une altération du message religieux initial. Il souhaite ainsi revenir à l’interprétation des textes comme elle censée avoir été faite aux premiers temps de l’islam. Le salafisme a pris sa dimension politique à travers un ouléma de la fin du XVIIIème siècle, Mohammad ibn Abdel Wahhab, la référence idéologique majeure jusqu’à aujourd’hui de l’Arabie Saoudite. Dans la structuration de la pensée salafiste djihadiste internationaliste, des penseurs comme Mawdoudi (Pakistanais - 1903-1979) et Sayyed Qotb (Egyptien - 1906-1966) jouent un rôle important. Le premier considère que l’application de la loi islamique - la charia - n’est possible qu’après une islamisation totale de la société. Le second met en place une théorie de l’opposition entre deux mondes : la jahiliyya (période pré-islamique - qui symbolise aussi la société non convertie) et la hakimiyya (l’époque de souveraineté d’Allah - soit la société musulmane vertueuse qu’il s’agit de mettre en place). Dès lors, dans cette pensée salafiste, la foi doit être nettoyée de tout concept non muslman tel que le socialisme ou la démocratie. Or, dans l’interprétation présente, ces conditions ne sont pas réunies, car certains régimes empêchent les hommes d’appliquer la souveraineté du message de l’islam et créent des opprimés. Dans ce contexte, le djihad se voit légitimé pour parvenir à cet idéal salafiste. D’abord défensif, ce djihad devient cependant, avec le temps, offensif.
Les prédicateurs djihadistes de l’Afghanistan, dont Al-Zawahiri, Ben Laden, Abou Hamza, Abu Qatada, etc, vont puiser dans cet univers salafiste et révolutionnaire. |
Leaders religieux radicaux
On peut d’ailleurs s’arrêter sur l’histoire de certains individus qui deviennent progressivement des chefs de ce Londonistan en constitution. On peut ainsi présenter, parmi d’autres, le parcours d’Abou Hamza et celui d’Abu Qatada al-Filistani.
Abou Hamza
Son véritable nom est en fait Mustapha Kemal. Cet Egyptien, né en 1958, décide de s’installer en 1979 en Grande-Bretagne, à Brighton, pour y poursuivre des études d’architecture. Peu religieux dans un premier temps, il commence s’intéresser à l’Islam au début des années 80. Et il devient progressivement sensible aux appels des premiers salafistes djihadistes d’Arabie Saoudite qui commencent à prêcher au Royaume-Uni. Progressivement, il se rapproche de la cause afghane. Il émigre d’ailleurs avec sa famille - son épouse est une Anglaise catholique - en 1990 à Peshawar (Pakistan), et y reste jusqu’en 1993. En 1993, malgré la pression des autorités pakistanaises qui entament leur répression contre les « Afghans arabes », qui commencent à les gêner, il participe au djihad mené dans la région du Cachemire, tiraillée entre revendications nationalistes pakistanaises et indiennes. Et lors d’une opération, il se blesse, perdant l’usage de ses deux avant-bras et d’un œil.
Finalement, il décide de rentrer en Grande-Bretagne en 1994. De là, il entame désormais son aide au djihad bosniaque, où il achemine plusieurs fois de l’aide humanitaire aux blessés. Ses activités s’interrompent lors des accords de Dayton (novembre 1995), qu’il considère comme une usurpation occidentale de la victoire des combattants bosniaques. Et il s’installe définitivement à Londres. Légitimé par son double parcours djihadiste, il y devient imam. Et grâce à son charisme, il commence à prêcher dans la deuxième plus grande mosquée de Londres, à Finsbury Park avec un autre ancien d’Afghanistan, Abu Qatada al-Filistani. Et il commence à exhorter les musulmans à être plus solidaires entre eux, ainsi qu’à d’avantage privilégier les préceptes de l’islam plutôt que de suivre le mode de vie occidental. De même, il y affirme « qu’un musulman pauvre en Grande-Bretagne est un musulman riche dans son pays d’origine », capable donc de contribuer financièrement aux nouveaux djihads qui se mènent à travers le monde. En 1996, il fonde sa propre organisation, les Supporters of Sharia (SOS) et prend le contrôle de la mosquée de Finsbury Park. Son organisme se veut le soutien des luttes djihadistes du monde entier et vise la libération des territoires gouvernés par des régimes contestés.
Abu Qatada al-Filistani
Ce nom d’emprunt, qui date de sa participation au djihad afghan, révèle son origine : palestinienne. Religieux depuis sa jeunesse, il obtient un diplôme en études islamiques à l’université d’Amman en Jordanie. Il enseigne ensuite l’islam en tant qu’imam dans des mosquées jordaniennes et se montre rapidement proche des courants salafistes et révolutionnaires. Vers la fin des années 80, il part pour Peshawar pour y compléter sa formation et il devient docteur en droit islamique. Il reste jusqu’en 1993 au Pakistan. Ses connaissances lui permettent d’ailleurs d’être affecté à la formation idéologique des combattants djihadistes. En 1993, témoin de la dissension croissante des factions djihadistes - sur le thème de comment mener le djihad - et face à une répression croissante des Etats nationaux de la région contre les pensées salafistes, il s’en va en direction de l’Europe. Où il souhaite sensibiliser la diaspora musulmane aux fondements du salafisme le plus pur. Et en septembre 1993, il s’installe avec sa famille en Angleterre, en tant que réfugié politique. Où il deviendra progressivement une figure importante du Londonistan. Un nouvel arrivant qui, bien qu’indépendant apparemment de toute organisation, défend également l’usage du djihad contre les régimes apostats du monde arabe, afin d’y instaurer la charia.
Dans ce tableau de la défense croissante d’un salafisme dur, défendu par différents idéologues et vétérans de la guerre d’Afghanistan en Angleterre, on peut aussi citer, entre autres, les noms d’Omar Bakri Mohammed (fondateur de l’organisation Harakat al-Mouhajiroun -
un mouvement qui élargit l’action djihadiste au-delà des pays arabes), Abou Mousaab al-Souri (idéologue très important dans la diffusion des idéaux djihadistes en Angleterre, durant la seconde moitié des années 1990, et très proche du régime Taliban), etc.
On peut aussi remarquer que ce foisonnement va enfin favoriser l’émergence de tout un activisme on line.
Un militantisme qui n’a pas fini de montrer ses effets jusqu’à aujourd’hui.
Dans ce climat ambiant, composé des relents de l’affaire Rushdie et de l’émancipation de tels courants islamistes, il n’est dès lors plus étonnant de remarquer que de jeunes musulmans britanniques commencent à adopter une vision qui rejette progressivement le système d’intégration britannique. Des jeunes, en quête d’identité et confrontés également aux difficultés de l’intégration, qui trouvent dans le militantisme de l’islam politique une voie qui leur convient.
Cela dans un monde en évolution - qui vient de connaître l’écrasement de l’idéologie communiste - où l’on commence de toute part à parler d’avantage de l’islam, de son sens, de ses impératifs,.... Dans un monde qui finira aussi par en parler - à la suite des événements du 11 septembre 2001 - en termes de dangers, de menaces.
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Dans ce contexte global, et au sein de cette population musulmane européenne qui tourne autour des 15 à 20 millions d’individus, des centres d’activités fondamentalistes se développent progressivement dans un certain nombre de pays européens durant les années 90. Avec des noyaux qui se constituent tour à tour en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, etc.
Et pourtant, malgré les évolutions constatées, les politiques gouvernementales de la majorité des pays européens - hormis la France - restent durant toute cette décennie toujours très favorables.
La France vigilante
La France, en effet, est un pays en avance sur ses voisins. Les différentes vagues d’attentats islamistes - des années 80 et 90 - ont eu un impact majeur sur son attitude envers le fondamentalisme islamique. Et dès 1986, le gouvernement accroît ses capacités de lutte antiterroriste. Il s’agit de l’époque Pasqua.
Ministre de l’Intérieur à l’époque, Charles Pasqua arrive en effet à imposer une collaboration entre les différents services de sécurité (police, armée, etc) et de nouveaux magistrats spécialisés en contre-terrorisme. Un système qui expliquera, entre autres, pourquoi alors que ses voisins accueillent toujours des imams venant de l’étranger, et suspectés ou connus pour leur radicalisme, la France leur interdit d’entrer sur son territoire. Par ailleurs, durant cette même période, la France arrive aussi à mettre enfin la main sur Carlos Illich Ramirez Sanchez - le chacal -
caché au Soudan. Un pays qui constitue un sanctuaire important pour les mouvements islamistes de l’époque. Et un pays duquel s’enfuit en 1996 un autre terroriste qui deviendra ensuite bien connu... : Oussama ben Laden. À ce titre, si l’épopée de Carlos s’arrête là, il est à noter que d’abord proche des idées marxistes - idéologie partagée par les groupes auxquels il collabore dans les années 70 - il se place désormais en accord avec la mouvance djihadiste salafiste, comme son dernier livre, écrit de sa cellule française, le révèlera publiquement par la suite.
Quoi qu’il en soit, ce type de politique proactive anti-terroriste de l’Etat français est une exception.
Et cette situation explique que des réseaux de soutien au djihad international arrivent à se constituer au travers de l’Europe. Des réseaux aux objectifs multiples. Pour certains, ils visent le recrutement de volontaires musulmans souhaitant aller s’entraîner dans des camps en Afghanistan en vue de mener le djihad en Bosnie, en Tchétchénie, ou ailleurs.
À ce titre, on sait maintenant que les recrues européennes ont souvent été envoyées dans le camp de Khalden (Afghanistan). Elles venaient de France, d’Allemagne, de Suède et d’autres pays pour un entraînement basique. Une forme de summer camp. Celles ayant choisi de s’investir d’avantage étaient alors dirigées vers le camp de Darunta (Afghanistan) pour approfondir leur formation. La formation au combat étant alliée à une formation idéologique.
D’autres groupes s’occupent d’obtenir ou de fournir des papiers d’identité pouvant permettre de quitter ou rentrer dans tel ou tel territoire sans éveiller les soupçons. L’Italie semble d’ailleurs avoir servi de plaque tournante dans cette entreprise.
Certains groupes assurent aussi des levées de fonds pour soutenir au plan financier ou humanitaire le djihad globalisé.
D’autres, enfin, rendent possible la venue d’imams radicaux étrangers en Europe.
Ces pratiques sont donc d’abord dirigées vers l’extérieur de l’Europe. Dans un objectif de soutien. Et elles se poursuivent durant toute la décennie.
À cette époque, ce trafic est connu dans une certaine mesure par les autorités, mais il est généralement ignoré. Les services de sécurité considérant qu’il est fort improbable qu’une opération terroriste ait lieu au sein du sanctuaire européen. Et les luttes d’influence entre musulmans modérés et radicaux dans le contrôle de telle ou telle mosquée ne sont vues que comme des affaires internes aux communautés musulmanes. Ainsi, aucune volonté politique de s’immiscer dans ces conflits n’existe alors, et personne ne veut provoquer les communautés musulmanes, à travers des politiques sécuritaires axées sur leur observation.
Or, s’il est vrai que des jeux d’influences se jouent effectivement entre modérés et radicaux pour le contrôle de telle ou telle mosquée, l’idéologie défendue par ces plus radicaux connaît, on l’a dit, une évolution. Il s’agit de la montée d’une vision du djihad de plus en plus dirigée vers l’« ennemi lointain ». Dans cette vision, les Etats-Unis sont évidemment les premiers visés. Et si l’Europe sert de sanctuaire, ce à quoi les radicaux, malgré leurs prêches hargneux au sujet des valeurs occidentales, restent attachés, ce territoire peut éventuellement devenir une zone participant à des attaques contre le Grand Satan.
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