B. Passage de la structure organisationnelle hiérarchique à celle de type réseau la structure organisationnelle hiérarchique à celle de type réseau
Comme mentionné antérieurement, le retrait de l’adversaire soviétique a forcé Al-Qaida à restructurer ses objectifs qui par ricochet a eu un impact sur sa manière d’envisager sa structure organisationnelle (Mishal & Rosenthal, 2005). Afin de bien comprendre ce changement progressif à l’intérieur de la structure organisationnelle d’Al-Qaida, il est important d’opérer brièvement son récit historique.
De retour en Arabie Saoudite, Ben Laden érige le Comité du djihad rassemblant en outre divers groupes militants, le Gama’a al-islamiya égyptien, le Djihad yéménite, le groupe pakistanais al-Hadith, l’Asbat al-Ansar libanais, le Gama’a al-Islamiya libyen, le groupe jordanien Beït al-Iman et le Groupe Islamique Armé (GIA) algérien (Baud, 2003). De plus, en choisissant de retourner dans son pays, il souhaitait pouvoir aiguillonner le pouvoir saoudien afin qu’il prolonge le financement destiné aux musulmans djihadistes (Thomas, 2005). À ce stade nous indique Sageman (2004), l’énergie d’Al-Qaida est essentiellement concentrée sur l’ennemi proche, c’est-à-dire sur les régimes corrompus et infidèles à la pureté de l’islam originel.
En 1990, l’Irak décide d’envahir le Koweït. Saghi (2005) souligne que Ben Laden aurait aussitôt demandé à l’Arabie Saoudite de lui consentir le commandement militaire – l’armée afghane qu’il a érigé lors de l’invasion
russe – afin d’empêcher les troupes irakiennes de pénétrer le sol saoudien. Le prince Sultan rejette l’offre, mais accepte celle de l’alliance internationale, qui est surtout composée de marines américains. Ben Laden subit l’opprobre. Selon Migaux (2004), ce dernier perçoit une double attaque à travers l’occupation américaine sur la terre sainte du Prophète. D’abord, la preuve est faite du caractère perfide de l’Amérique, sous prétexte de défendre le sol sacré de l’islam (ce territoire comporte deux lieux saints de l’islam, La Mecque et La Médine), les américains seraient de préférence là pour écumer leurs richesses. Ensuite, il les tient responsables de la corruption et de l’impiété des dirigeants saoudiens.
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L’exil soudanais
En 1991, Ben Laden quitte son pays natal (l’Arabie Saoudite) pour le Soudan, mais aussitôt arrivé sur les lieux, les américains débarquent en Somalie afin d’y accomplir une mission de paix. Selon Sageman (2004), Ben Laden et ses acolytes interprètent cela comme étant une stratégie occulte destinée à conquérir les terres musulmanes.
Entre-temps, Ben Laden avec sa fortune personnelle organise la construction d’infrastructures tant routières qu’immobilières pour l’État soudanais. En contrepartie, le pouvoir exécutif ne s’occupe pas des micmacs clandestins auxquels Ben Laden se livre. Il peut finalement entreprendre le façonnement de la « base solide » pour ces moudjahidins (Migaux, 2004). Il faut souligner de plus, qu’à ce moment au Soudan, une foultitude de groupes islamiques y sont présents et cela permet à Ben Laden et à ses complices d’ourdir des connexions (Burke, 2003).
Sur la scène mondiale, le contexte entourant le monde musulman est profondément chamboulé. Plusieurs pays sont confrontés à livrer une lutte aux islamistes radicaux. En Égypte, au commencement de l’année 1990, les islamistes radicaux de la Gamaa Islamiyya (ces groupes sont apparus dans les mouvements ou associations étudiantes universitaires) et du groupe Al-Djihad (ce groupe est apparu suite à la fusion de groupes locaux du Caire et de Haute-Égypte) mettent en avant une série d’actions requérant un haut niveau de violence contre le régime du président Moubarak. En Algérie, l’avortement au premier tour du processus électoral des islamistes du Front islamique du salut (FIS) en janvier 1992 a pour répercussion de radicaliser ses militants qui souhaitaient une alternative légale plutôt que violente pour arriver à leurs fins (Thomas, 2005). La résultante en est qu’une foultitude de confrontations se déclarera entre les différents groupes islamiques et le pouvoir. Les combattants revenus d’Afghanistan joueront un rôle prépondérant dans la résistance et dans la mobilisation des groupes islamiques face au pouvoir étatique (Migaux, 2004). Le Cachemire, l’île philippine de Mindanao, la Bosnie-Herzégovine, la Tchétchénie, le Caucase, la Yougoslavie, l’Ouzbékistan, etc., constituent d’autres terrains minés. Selon Thomas (2005), tous ces lieux d’affrontements alimentent chez Ben Laden le désir d’engendrer un combat islamique mondialisé, gouverné par Al-Qaida.
Pour ce faire, la stratégie à adopter doit être réexaminée. Kepel (2004) souligne que Ben Laden a vu de ses propres yeux les insuccès des combattants de l’islam – de l’Égypte à la Bosnie, de l’Arabie Saoudite à l’Algérie – être incapable de rassembler dans leur sillage les masses musulmanes. Lui et ses associés en viennent donc à la conclusion que pour se débarrasser des régimes impies et corrompus – désignés d’ennemi proche – et pour inverser la tendance de la périclité de l’islam, il fallait viser « le serpent à la tête », c’est-à-dire les Etats-Unis puisque c’est eux qui protègent les dirigeants apostat du Moyen-Orient. En frappant l’ennemi lointain – les Etats-Unis – l’aspiration la plus aiguë est de voir se soulever la force du djihad.
D’après Burke (2003), il existe deux avantages tangibles à vouloir s’attaquer à l’ennemi lointain. D’abord, cela permet d’outrepasser le particularisme qui appesantissait les groupes réformistes ou extrémistes depuis 30 ans. Ensuite, cela favorise le rapprochement d’individus et de groupes hétéroclites disséminés à travers le monde que constituait le militantisme islamique.
Selon Sageman (2004), deux attentats correspondraient au passage de l’ennemi proche à l’ennemi éloigné. Le premier, exécuté le 13 novembre 1995 contre le centre d’instruction de la Garde nationale à Riyad et le second, effectué le 25 juin 1996 contre des tours Khobar à Dharan, tuant dix-neuf soldats américains. Toutefois, souligne l’auteur, il est plausible de croire que la révolution technologique qui a déferlé avec une grande célérité durant les années 1990 soit aussi à prendre en considération dans ce changement stratégique. La montée du djihad salafiste mondial dit-il, concorde parfaitement avec les avancées technologiques indispensables à l’exécution de la mise en œuvre d’attentats contre l’ennemi lointain.
Après un certain laps de temps passé au Soudan, les relations entre les figures de proue d’Al-Qaida et le pouvoir politique deviennent vacillantes, c’est que la pression internationale (l’Arabie Saoudite, la Libye, l’Algérie et les Etats-Unis) accuse le Soudan d’héberger des réseaux islamistes radicaux (Thomas, 2005). Sans compter que la tentative d’assassinat du président égyptien Moubarak en 1995 lui occasionne une condamnation des Nations unies et des conséquences économiques (Sageman, 2004). Burke (2003) signale aussi que la divergence de vues entre Al-Tourabi, chef du gouvernement soudanais et Ben Laden concernant le djihad international est un facteur prépondérant dans l’affaiblissement de leur relation. Pour Tourabi, le primat se trouvait dans l’obtention et la sauvegarde du pouvoir politique dans la visée ultime de créer une société islamique. Ben Laden, n’a d’autre choix que de partir pour un autre emplacement.
Par rapport à la structure organisationnelle d’Al-Qaida à cette période, son quartier général était implanté au Soudan. Plusieurs camps d’entraînement fonctionnaient à pleine capacité. Il s’en trouvait en Afghanistan, en Bosnie, au Yémen et Philippines (Sageman, 2004). La structure d’Al-Qaida rend possible un contrôle direct, mais aussi indirect sur les groupes lui étant associés. Ben Laden par ses discours, déclarations et écrits assume un contrôle sur le noyau central (Gunaratna, 2002). Il cherche en outre à susciter l’enthousiasme de ses cadres. Les groupes militants associés à Al-Qaida établissent une coalition assez malléable, chacun possède son propre organe de commandement et sa propre ossature communicationnelle. Toutefois, quand c’est nécessaire, ils peuvent aisément fusionner dans l’objectif de participer à mettre à exécution un stratagème commun (Gunaratna, 2002). On peut constater que la structure hiérarchique d’Al-Qaida tend à devenir de plus en plus de type réseau.
Retour en Afghanistan :
Le 18 mai 1996, Ben Laden constatant que le Soudan ne pouvait plus lui apporter la protection nécessaire il quitte et retourne en Afghanistan. La
vastitude des montagnes, son sol escarpé et son climat austère s’avéraient être plus opportuns pour garantir sa sécurité. Selon Sageman (2004), le départ d’Al-Qaida d’Afghanistan en 1991 pour le Soudan et son retour en 1996 a fait en sorte de radicaliser l’organisation. Au même titre que la théorie de Darwin sur l’évolution, les éléments les moins motivés ont renoncé à la suivre, gardant par le fait même que les plus animés. De plus, Thomas (2005) explique qu’au moment où Al-Qaida est arrivé en Afghanistan, la conjoncture sociale et politique a été expédiente pour l’organisation de Ben Laden, c’est que la coalition islamiste au pouvoir à Kaboul n’était guère vigoureuse, en partie à cause de
chicanes internes. Ben Laden ne tardait pas à nouer des liens avec le chef des Talibans, le mollah Omar, devenu au fil du temps le protagoniste clé en Afghanistan. Ce dernier contrôle alors 80% du territoire et bénéficie de la crédulité de la population qui escompte que l’application de la charia mettra un terme à l’anarchie qui y règne (Migaux, 2004). En échange de pouvoir implanter son infrastructure (surtout des camps d’entraînement) destinée à la poursuite de ses ambitions, Ben Laden versera au mollah Omar de 10 à 20 millions de dollars par an et lui offrira ses moudjahidins étrangers s’il le désire dans d’éventuels combats (Rodier, 2004).
La déclaration de 1996 et de 1998 :
Le 23 août 1996, de son havre, Ben Laden émet sa première déclaration dont le titre s’intitule « Déclaration de guerre contre les Américains occupant le pays des lieux saints ». Selon Sageman (2004), c’est là que le djihad mondial a véritablement pris son envol. En 1998, Ben Laden parachève son épure d’une International islamiste (Thomas, 2005) ou du djihad salafiste mondial (Sageman, 2004) en fondant le Front islamique international (FII) signé par le Cheikh Oussama Ben Laden, Al-Zawahiri, émir du Groupe du djihad en
Égypte, Abou-Yasir Rifa’i Ahmad Taha, du Groupe islamique égyptien, Mir Hamzah, secrétaire du Jamiat-ul-Ulema-e-Pakistan et Fazlur Rahman, émir du Mouvement Islamique au Bangladesh (Baud, 2003, Stern, 2003).
Ces deux déclarations annoncent et cela sans ambages l’avènement de la confrontation directe entre la mouvance islamique représentée par les dirigeants d’Al-Qaida et les intérêts américains (Thomas, 2005). À travers ces deux violentes satires, deux constats peuvent être effectués. Dans le premier, on peut tirer des éclaircissements fondamentaux sur la nature des objectifs que poursuit l’organisation d’Al-Qaida. Dans le deuxième, on peut apercevoir qu’Al-Qaida procédera à des changements importants de sa structure organisationnelle dans le but de mettre en action et de rendre crédibles ses diatribes prononcées à l’endroit des américains (Migaux, 2004 ; Gunaratna, 2002, Sageman, 2004 ; Burke, 2003 ; Marret, 2002 ; Heisbourg, 2003 ; Mishal & Rosenthal, 2005).
1 er constat : les objectifs d’Al-Qaida et son idéologie salafiste
Pour bien comprendre le discours d’Al-Qaida et ses objectifs à court et à moyen terme, il est nécessaire de remonter le fil de l’histoire du salafisme sunnite militant, car ses revendications en sont intimement liées. Pour Sageman (2004) la dissémination de cette nouvelle forme de violence au nom de l’islam, s’inscrit dans un mouvement social qu’il qualifie de djihad salafiste mondial. Il le définit comme étant un mouvement religieux revivaliste ayant comme visée de réhabiliter l’éclat prestigieux dont l’islam était autrefois empreint. Les combattants qui le composent orientent leurs missions, leurs cibles ainsi que leurs tactiques selon l’idéologie du salafisme (vient de Salaf qui veut dire ancêtre). Cette dernière provient d’Égypte, ces principales égéries étant Sayyid Qutb, Mustapha Choukri, Abdessalam Faraj et Ayman al-Zawahiri. Sans entrer dans le détail, la stratégie salafisme repose sur le constat que l’islam est en train de péricliter parce qu’il s’est écarté de sa quintessence. La seule façon de restituer son lustre est de retourner à l’application de la foi pratiquée par le prophète Mahomet et ses compagnons. Traditionnellement, les exégèses religieuses et juridiques de l’islam s’appuient sur quatre préceptes : d’abord, la souveraineté du Coran, ensuite, les manifestations du Prophète rapportées par les hadiths (ceux qui l’ont personnellement connus), puis, les raisonnements par induction qui permettre l’autorisation d’un point de vue en l’absence de situation non envisagée par le Coran ou les hadiths et finalement, l’accord d’érudits sur diverses questions. La philosophie salafiste repousse les deux derniers principes, car ils ne représenteraient pas la vraie parole divine. Cela serait plutôt le résultat d’innovation dénaturée influencée par des sources extérieures, seul le Coran et les hadiths sont habilités à transmettre le message divin. Donc, c’est uniquement à travers un islam pur et authentique (le Coran et les hadiths) que la communauté des croyants (Oumma) retrouverait sa substance originelle, sa gloire et sa noblesse.
Les ordres expressément formulés par les premiers mouvements salafistes ne mobilisaient pas tous la violence pour faire valoir leur visée. Par exemple, la tablighi jamaat ou tabligh (Société pour la propagation de la foi) fondé en 1927 par Muhammad Ilyas en Inde, reposait sur une stratégie non violente qui se dispensait de mettre en action les rouages de la politique pour ramener dans la droiture les musulmans ayant déféré aux appétences de la culture hindoue ou occidentale. Ce mouvement briguait à ce que les musulmans croyants cessent tout rapport avec les personnes perfides qui ne respectaient pas l’Oumma authentique. Selon Sageman (2004), en l’espace de soixante-quinze ans, ce dernier a constitué un vaste réseau à travers le monde qui s’est avéré être la principale force du revivalisme musulman du XX e siècle. Récemment, les salafistes plus radicaux ont trouvé les moyens de s’insinuer dans les réseaux tablighs. Kherchtou (2001) révèle que moult conscrits d’Al-Qaida ont affirmé à l’État Pakistanais afin d’obtenir un visa qu’ils voulaient étudier dans une école tablighs. La vraie raison était plutôt celle de se rendre par la suite en Afghanistan afin d’apprendre les rudiments des techniques terroristes.
Une autre stratégie employée par la philosophie salafiste est celle de mettre en branle un activisme politique pacifique qui ambitionne à réorganiser la société par les institutions étatiques. Son émergence est la conséquence d’une reculade de l’islam vis-à-vis les sociétés occidentales au XIX e siècle. Il s’est suivi au cours de cette période une époque de colonialisme européen des terres musulmanes ; la France a mis sous le joug de son pouvoir les musulmans d’Afrique du nord et la Grande-Bretagne a fait de même avec certaines régions du Proche-Orient et sur l’ensemble du sud de l’Asie. De fait, l’Empire Ottoman est en plein déclin. La figure de proue qui a représenté cette forme de politique de revivalisme musulman est Jamal al-Din aussi appelé al-Afghani (1839-1897). Par ses nombreux déplacements à travers l’Afghanistan, l’Inde, l’Égypte,
l’Irak et la Perse, il a remarqué que les musulmans se laissaient influer par tout ce qui entourait et caractérisait le mode de vie des occidentaux. Pour contrer cette tendance et redonner à l’islam son éclat passé, il a exploité les systèmes de croyance et de pratique de l’islam à des fins politiques dans l’objectif bien précis de rassembler les fidèles. S’il s’insurgeait contre les valeurs matérialistes de l’occident et de son athéisme, sa science et ses technologies attiraient tout de même son attention. Il en vient à la conclusion que c’est en combinant le rigorisme religieux des anciens (salaf) et la science moderne que l’islam pourra à nouveau revivre sa grande période de domination (Roy, 2004).
La progression du salafisme amène sur la scène politique Hassan al-Banna (1906-1949), qui créé en 1928 les Frères musulmans en Égypte, et Abou Ala Mawdoudi (1903-1979), qui constitue en 1941 la jamaat e-islami (société islamique) en Inde. Selon Conrad (2002), il estime que ces deux partis sont les précurseurs des mouvements islamistes politiques pour ce qui est de leur rôle joué dans le rassemblement de l’unité de l’islam par l’observation des pratiques religieuses des ancêtres (salaf) et d’un « mode d’organisation structurelle axé sur l’appréhension sociale de la communauté ». Si ces deux mouvements n’éperonnaient pas la violence pour mener à terme leur ambitieux projet d’un véritable État musulman, la récupération de leurs actions réformistes seront retravaillées et radicalisées par de nouvelles figures islamistes de nationalité égyptienne (Conrad, 2002 ; Sageman, 2004 ; Migaux, 2004).
Avant d’aborder ce point, faut d’abord savoir qu’au cœur du XX e siècle, la décolonisation va permettre aux musulmans de reprendre le pouvoir de leurs terres et par conséquent, d’aspirer à édifier un véritable État islamiste. Toutefois, nous dit Sageman (2004), ceux qui s’emparent du pouvoir vont totalement à contresens des idées et des valeurs salafistes, c’est-à-dire que ce sont surtout des gouvernements de type laïc et nationaliste. Ce contexte de déchirement entre les nouveaux représentants du pouvoir et les salafistes politiques créera une conjoncture sociale intenable. La répression exercée par le pouvoir politique sur les salafistes fera en sorte de convaincre certains d’entre eux que l’appel de l’islam (la dawa) et la doctrine politique des réformistes (al-Banna et Ala Mawdoudi), ne sont pas de bons moyens pour instaurer un État islamiste. Si les moyens pacifiques semblent être écartés de leur future stratégie, l’utilisation de la violence quant à elle pose problème pour les salafistes qui se radicaliseront, car son emploi répandrait la fitna (guerre au cœur de l’islam) et n’oublions pas qu’ils recherchent avant tout l’unicité de l’islam afin de la faire revivre avec toute sa force originelle. Pour eux, il est donc préférable d’être sous l’emprise d’un médiocre leader sunnite que de laisser la fitna se répandre. La fitna fait référence aux bouleversements qui ont affligé la communauté musulmane suite à la mort du Prophète. Il s’en est suivi une division, d’un côté les chiites et de l’autre les sunnites. Le calife, successeur de Mahomet et/ou chef du monde musulman avait alors lancé un appel à la mobilisation afin de réconcilier la déchirure. Ceux qui allaient emboîter le pas à sa demande devinrent sunnites, et ceux qui regimbèrent, chiites.
La question devient donc comment faire pour que de « bons musulmans » puissent se soulever contre l’hérésie d’un chef musulman qui ne remplit pas son rôle de rassembleur sans entraîner la fitna. C’est là que Sayyid Qutb (1906-1966) intervient afin de faire admettre comme juste, raisonnable et justifiable la
désobéissance et la révolte contre les gouvernements impies et perfides (Burke, 2003 ; Gunaratna, 2002 ; Sageman, 2004 ; Migaux, 2004 ; Conrad, 2002). Pour Qutb, l’appel de l’islam (la dawa) ne peut être entendu que par un mouvement musulman d’avant-garde qui se chargerait de lutter contre les obstacles idéologiques, sociaux, raciaux et économiques qui empêcheraient sa réalisation. Il est considéré comme étant le penseur d’un islamisme radical véritablement subversif autorisant la force brutale au moyen du concept de jahiliyya (c’est un concept religieux qui signifie l’époque inculte précédente aux proclamations du prophète Mahomet).
Selon le rapport de la Commission d’enquête du 11 septembre (2004), il est possible de percevoir à travers les écrits de Qutb trois termes dominants. Primo, il affirme que la civilisation est exposée à la barbarie, à la permissivité et à l’incrédulité. Selon lui, les êtres humains n’ont d’autres choix que d’opter entre l’islam et la jahiliyya. Secundo, il prévient que les populations sont davantage affriandées et captivées par la jahiliyya et ses plaisirs matériels que par les représentations de l’islam. Tertio, il prétend qu’il ne peut y avoir de coexistence intermédiaire entre ce qu’il qualifie de combat entre Dieu et Satan. La somme des musulmans a l’obligation de lutter et de s’opposer à tout ce qui avilit la pureté de l’islam. Pour Qutb, les musulmans qui vont à l’encontre de cela doivent être estampillés de mécréant et détruits.
En outre, il se servira de la notion de jahiliyya pour faire valoir son refus de compromis ou de négociations avec les régimes musulmans impies. Selon lui, ces derniers ne représentent plus les vraies lois de l’islam, par conséquent, ils sont devenus illégitimes et doivent être rejetés (takfir). En proclamant les gouvernements d’hérétiques, Qutb interpelle donc à l’indocilité et à la rébellion. Cela a eu pour résultat de transmuer le bien-fondé du djihad: passant de l’obligation collective à se porter à la défense de la communauté contre les non-musulmans à une obligation morale et individuelle de combattre les mauvais musulmans (Conrad, 2002).
Faut savoir qu’à l’époque de Taqi ibn Taymiya (1263-1328), un idéologue souvent cité par Ben Laden, les mongols convertis à l’islam sont partis à la conquête des terres musulmanes. Taymiya affirmait alors qu’il était légitime dans ce cas pour des musulmans de faire la guerre (le djihad) à d’autres musulmans parce que les mongols utilisaient un autre code légal (la yasa) que celui de la charia. Selon Sageman (2004) cette dernière ne se « cantonne pas aux lois, mais comprend des principes de foi, des principes d’administration et de justice, des principes de moralité et de gestion des rapports humains et des principes de savoir ». Pour cette raison, ils n’étaient pas de véritables musulmans, mais plutôt des apostats. Le document publié par Qutb en 1964, Signes de piste (traduction française), est devenu au fil du temps l’inspiration de la justification du djihad salafiste. Sans compter que son exécution par le gouvernement de Gamal Abdel Nasser lui a déféré le titre de martyre. Qutb a été trouvé coupable d’avoir conspiré contre l’État égyptien.
C’est dans ce contexte houleux que la pensée de Qutb va parvenir à se radicaliser davantage en Adbel Salam Faraj. Son ouvrage l’obligation absente certifie que le djihad représente le sixième pilier de l’islam ; c’est en s’appuyant en autres sur des textes de Ibn Taymiya qu’il en arrive à une telle conclusion (Conrad, 2002). Pour Faraj, il devient donc un impératif religieux de contester et de lutter contre un pouvoir politique corrompu à l’islam. En outre, il explicite sans circonlocutions le passage de la « théorie du takfir collectif et de la guerre sainte en général à l’acte terroriste sélectif » (Conrad, 2002).
La pensée et les idées de Ben Laden ont largement enfanté de cet héritage de dissidence qui s’est développée en Arabie Saoudite et dans la société islamique en général. De manière ostensible, il s’inspire des écrits de Qutb et de Ibn Taymiya. Selon Burke (2003), la pensée de Ben Laden n’a pas beaucoup de particularité, on la retrouve dans de foultitudes de tracts salafistes éparpillées un peu partout. En s’accaparant des symboles glorieux de l’islam, il présage de remettre aux musulmans leur fierté d’autrefois. Cette restitution passe inéluctablement par un changement de cible, l’attaque de l’ennemi lointain. C’est d’ailleurs la seule nouveauté dans la pensée de Ben Laden d’après Burke (2003). Le fait d’avoir pour cible les Etats-Unis et de les accuser de tous les outrages, lui permet de se rapprocher de son objectif ultime qui est de pouvoir rassembler toutes les forces militantes sous une même et unique cause (Gunaratna, 2002 ; Chaliand, 2002). Il justifie ses attentats en des actes de défense. Il affirme que c’est d’abord l’Amérique qui a attaqué l’islam. Comme mentionné précédemment, il tient les américains responsables de l’ensemble des luttes auxquelles les musulmans sont assujettis et de ses gouvernements impies et corrompus (Commission d’enquête du 11 septembre, 2004).
Les griefs à l’endroit des Etats-Unis faits par Ben Laden dans ses déclarations de 1996 et 1998 autorisent à circonscrire trois objectifs de l’organisation (Baud, 2003 ; Burke, 2003). Le premier, est la rétractation des troupes américaines sur le sol de l’Arabie Saoudite. Le deuxième, était la cessation de l’embargo vis-à-vis l’Irak. Et le troisième est l’abandon de leur l’appui à Israël, car cette aide est perçue comme étant un stratagème afin de faire perdurer la division de la nation arabe.
2 ième constat : changement de la structure organisationnelle en réseau
Comme démontré antérieurement, le Soudan et l’Afghanistan sont devenus tour à tour les bases opérationnelles d’Al-Qaida. Ces deux pays lui ont permis de rassembler des milliers de militants partageant sa vision, même si ces derniers s’y rendaient parfois simplement pour des questions de circonstances opportunistes (Burke, 2003). Ils lui ont aussi permis de concevoir une efficiente machine terroriste basée sur une structure de type réseau (Migaux, 2004 ; Gunaratna, 2002, Sageman, 2004 ; Burke, 2003 ; Marret, 2002 ; Heisbourg, 2003 ; Mishal & Rosenthal, 2005). La création du Front islamique international (FII) en 1998 par Ben Laden, regroupant plusieurs chefs islamiques, allait lui permettre de constituer et d’étendre son réseau terroriste. Il était alors capable d’expédier ses membres entraînés avec des instructions générales en mains, à propos de cibles désirées, partout à travers le monde. L’utilisation de technologies lui permettait d’entrer en communication à n’importe quel moment avec ses troupes et lieutenants. Ben Laden (1998-2001) faisait désormais porter son effort sur les caractéristiques transnationales de l’organisation, tout conflit opposant des musulmans était une occasion de s’y immiscer, afin de parvenir à l’unité, au rassemblement de la communauté des croyants de l’islam (Mishal & Rosenthal, 2005).
Il existe différentes façons de présenter la structure organisationnelle d’Al-Qaida entre 1998 et 2001. Peu importe la manière de l’exposer (Gunaratna, 2002 ; Sageman 2004 ; Burke, 2003), tous acquiescent au concept de réseau dont Al-Qaida à cet époque se servait pour donner les grandes orientations de l’organisation. Avant de les décrire, j’exposerai brièvement quelques aspects théoriques inhérents à l’approche réseau.
Aspects théoriques à l’approche réseau
Arquila et Rondfelt (2001) se sont intéressés dans leurs travaux à la compréhension de la structure organisationnelle des groupes terroristes. Le concept réseau en est ressorti comme étant une composante dominante. Ils le définissent de la manière suivante: «a set of diverse, dispersed nodes that share a set of ideas and interests and are arrayed to act in a fully intermitted “all-channel” manner». Ils soulignent en outre, que les réseaux ont très peu de hiérarchie ou d’autorité officielle et que la prise de décision et les manœuvres stratégiques peuvent être insufflées et opérées localement sans nécessairement y avoir une autorité qui dicte les actions à accomplir.
Selon les auteurs, trois types idéaux de réseau existent. Le premier est le réseau « chains », ses acteurs sont situés dans une chaîne de nœuds où l’information circule entre eux. Les acteurs ignorent qui tire les ficelles dans l’organisation. Ils reçoivent de l’information d’un acteur et la font passer à d’autres sans connaître sa nature réelle. Le deuxième est le réseau « hubs », dans celui-ci, il y a un acteur positionné au centre et toute l’information passe par ce dernier. C’est le seul qui possède l’ensemble de l’information nécessaire au bon déroulement d’un attentat par exemple, les autres acteurs lui sont subordonnés. Le troisième est le réseau « all-channel », dans ce dernier, les acteurs ne sont pas subordonnés à d’autres et l’information y circule sans circonspection.
À travers cette description, il est possible de dégager trois types de nœuds (Gagnon, 2006). Le premier est le nœud critique, il correspond aux têtes dirigeantes des organisations terroristes. C’est eux qui prennent les décisions les plus importantes, qui déterminent les objectifs et les buts que l’organisation se propose de réaliser. Le deuxième est le nœud névralgique qui se rapporte aux acteurs encadrant et supervisant les actions sur le terrain. Ils veillent à ce que ces dernières se réalisent en conformité avec les desseins des têtes dirigeantes. Le troisième est le nœud opérationnel qui désigne les acteurs sur le terrain.
Sageman (2004) va dans le même sens que Arquila et Rondfelt (2001) en affirmant qu’un réseau est une série de nœuds reliés entre eux par des liens. Parmi ces nœuds, il y en a qui seraient plus propices que d’autres à créer des liens. Ces nœuds ayant plus de connections sont appelés par Sageman (2004) des pivots, l’équivalent du nœud névralgique. Le rôle de ces derniers serait capital dans l’établissement d’un réseau terroriste. L’exemple de Fateh Kamel est riche d’enseignement, on le décrit comme quelqu’un de charmant, de prolixe et détenant beaucoup d’entregent. C’est à travers son savoir-faire relationnel que le réseau magrébin se serait développé.
Une autre caractéristique du réseau, c’est qu’il n’est pas statique, son évolution est perpétuellement en mutation (Sageman, 2004 ; Gagnon, 2006). Le réseau génère des liens (pour toutes sortes de raisons ; soutien financier, logistique, etc.), les défait, les reconstitut et ainsi de suite. L’absence de règles stationnaires augmente par le fait même sa capacité d’adaptation, car il peut constamment créer de nouveaux liens. Par contre, le réseau reste vulnérable, on a vu précédemment que le pivot est un joueur clé par son aptitude à constituer des liens, sans compter que la plupart des communications transitent par lui. Donc, l’élimination d’un certain nombre suffit à endommager le réseau suffisamment pour ne laisser qu’une série de nœuds éparpillés et détachés n’ayant plus accès aux communications.
Un autre élément propre au réseau islamique, c’est qu’il a l’avantage de mettre à contribution un processus de développement qui se fait de lui-même, sans avoir été provoqué par les têtes dirigeantes du réseau ou par un long et pénible travail de recrutement. Sageman (2004) mentionne que celui-ci est souvent opéré par un lien faible. C’est généralement grâce au lien faible, par ses nombreuses relations, que le futur moudjahidin peut se connecter à un nœud. Le manque d’uniformité dans la répartition du djihad mondial en est une preuve flagrante. C’est que le recrutement sous cette forme obéit à une logique du bas vers le haut.
Ce procédé de conscription dans le djihad obtempère tout de même à quelques critères. Le futur moudjahidin qui désire se connecter à un nœud afin de s’unir au djihad mondial doit au moment d’entreprendre les démarches se trouver dans un état d’isolement social, de marginalisation sociale et de déracinement de leur société d’origine. Donc, ordinairement le candidat potentiel s’insère dans un réseau parce que plus rien ne le met en communication avec la société. En criminologie, De Greeff (1932) parlerait plutôt d’un processus de désengagement affectif, condition nécessaire à la réalisation d’un crime.
Dans la plupart des cas, le futur moudjahidin qui lorgne à se greffer au djihad doit passer par trois phases (Sageman, 2004). Premièrement, l’affiliation se fait soit par amitié, par parenté ou par une relation de maître à disciple. Le plus souvent, le non-initié sera coopté à l’intérieur de petits groupes ou de petits réseaux. Sageman (2004) emploie la terminologie du clan pour désigner cet aspect de la réalité. Le clan se développe par des rapports de conformités, de ressemblances, d’affinités (origine sociale, éducation, croyance analogue, etc.). Deuxièmement, il est emporté petit à petit par des croyances religieuses jusqu’à l’approbation de l’idéologie du djihad salafiste. Troisièmement, l’adhésion explicite dans le djihad se fait par l’exploration et la trouvaille d’un lien lui indiquant la procédure à suivre. Sageman (2004) indique que le lien social est la phase la plus importante du processus, il passe devant l’engagement idéologique. C’est que ce dernier favorise le ralliement au djihad en ce qu’il met à la disposition du moudjahidin un soutien émotionnel et social réciproque et contribue à lui façonner une identité propre. Ce qui fait dire au chercheur qu’il est bien plus convenable d’imputer au terrorisme « l’amour du groupe qu’à la haine de l’extérieur ».
Structure organisationnelle d’Al-Qaida entre 1998-2001
Au début de l’année 1998, la structure organisationnelle interne d’Al-Qaida pouvait être décrite de cette façon (Gunaratna, 2002 ; Marret, 2002 ; Heisbourg, 2003). La position la plus élevée de l’organisation était représentée par un émir (celui qui donne les ordres). Ben Laden en était l’emblème. Subséquemment venait la Majlis al Choura, un conseil consultatif religieux qui discourt et vérifie si les actions politiques, les actes terroristes sont exécutés en conformités avec les perceptions salafistes. Ses membres les plus influents étaient à cette période, Mohamed Atef, Ayman Al Zawahiri et Abdel Rahman Rajab (Migaux, 2004). Quatre comités lui étaient subordonnés – militaire, finances et affaires, fatwa et études islamiques, médias et communication.
-Le comité militaire avait sous sa gouverne les soins du recrutement, de l’entraînement, de la préparation logistique (étude des cibles) et du soutien des actions terroristes.
-Le comité finances et affaires veillait à ce que les structures tant matérielles que financières se développent à la même cadence des activités d’Al-Qaida.
-Le comité fatwa et études islamiques était responsable de dénicher à travers le Coran et les hadiths des interprétations religieuses qui allaient venir légitimer et justifier les actions terroristes de l’organisation.
-Le comité médias et communication diffusait de l’information sur divers sujets, en autres, concernant les buts et les objectifs de l’organisation, l’islam et la guerre sainte. Un de leur bureau de relations publiques était posté à Londres qui aujourd’hui n’existe plus bien évidemment.
Chacun de ses comités devaient rendre des comptes à la Majlis al Choura. Sa structure interne était composée comme suit : chaque comité avait à sa tête un émir qui à son tour avait un adjoint. Ils étaient tous deux responsables du bon fonctionnement de leur comité. Parfois, Ben Laden ou ses commandants sélectionnaient des membres parmi ces quatre comités pour effectuer des missions particulières. Le cas du 11 septembre 2001 en est un exemple patent.
Le 7 août 1998, deux ambassades américaines en Afrique de l’Est sont assaillies par les forces terroristes d’Al-Qaida. L’élaboration de ces deux attentats a fortement mise à contribution les têtes dirigeantes de
l’organisation. Par après, le contrôle de ces derniers sur la préparation et la planification d’attentats est devenu plus décentralisé. Son rôle s’est cantonné surtout à développer et entraîner en Afghanistan des terroristes capables par la suite de conduire leurs propres missions. Il leur fournissait de l’argent et du support logistique afin qu’ils puissent mener à bien leurs projets d’attentats (Sageman, 2004). Toutefois, l’apparence plus décentralisée de l’organisation n’a pas remis en question la structure de la Majlis al Choura et ses quatre comités (Gunaratna, 2002).
En 2000, les protagonistes d’Al-Qaida et les différents chefs de réseaux moudjahidins organisent plusieurs rencontres afin de décider de la stratégie globale à adopter contre l’ennemi lointain. De manière ostensible et sans équivoque, il en est ressorti que l’autonomie dans les objectifs et les moyens de chaque réseau devait être décidée de l’intérieur, par contre cela ne les empêchait pas de pouvoir bénéficier le cas échéant du soutien des autres structures (Migaux, 2004). Comme l’explique Burke (2003), le génie de Ben Laden a été d’amener vers un même résultat les éléments disparates du militantisme islamique. Celui-ci a émergé et/ou est devenu visible essentiellement pour riposter contre les régimes répressifs du Moyen-Orient. Selon Gunaratna (2002), c’est là qu’il faut voir les antécédents d’Al-Qaida. Pour cette raison, Burke (2003) stipule qu’il est inimaginable de se représenter un réseau international de groupes terroristes sous la gouverne et créé par Ben Laden. Il s’agit plutôt de percevoir à travers ce conglomérat de groupes terroristes qui se sont coalisés et/ou cooptés au projet de Ben Laden comme une sorte de coopération opportuniste. Cela s’explique par le fait que la plupart du temps ces groupes avaient déjà leurs propres leaders et leurs propres objectifs locaux (Burke, 2003). L’utilisation de la métaphore de la guerre froide par Burke (2003) pour dépeindre la causalité entre Ben Laden et les autres groupes terroristes est intéressante. En effet, le noyau dur ou le nœud critique d’Al-Qaida, au même titre que les Etats-Unis et l’URSS à l’ère du communisme, pouvait utiliser ses alliés. Ainsi intervenant comme un État, Ben Laden offrait toute une gamme de ressources tant matérielles que pécuniaires aux autres groupes. Il s’agissait en fait d’un échange de bons procédés où chaque partie en retirait un avantage.
L’analyse faite par Sageman (2004) de l’ensemble de la structure organisationnelle du djihad salafiste mondial suit cette tendance. Selon lui, sa charpente repose sur quatre branches, chacune d’entre elles s’agglomèrent à quelques pivots tout au plus, elles possèdent toutes d’innombrables connexions sur la mappemonde et d’incalculables petits clans et candidats en puissance gravitent atour d’elles.

À la tête de la structure, se trouve le bureau central qui est relié à toutes les autres branches. Sa structure interne est la même que celle décrite précédemment. Ben Laden est l’Émir aux côtés d’une shura ayant sous sa supervision quatre comités (militaire, finances et affaires, fatwa et études islamiques et médias et communication). La branche du Sud-Est asiatique est organisée autour de la jamaat islamiya qui possède une organisation plus hiérarchique que les deux autres branches. Son pivot étant Abou Bakar Bachir et ses lieutenants de terrains sont Riduan Isamuddin et Ali Ghufron ben Nurhasym. La branche magrébine a un fonctionnement de type réseau. Son pivot est Zayn Hussein et ses lieutenants de terrains se trouvent être Fateh Kamel et Amar Makhloulif. La branche du Proche-Orient et d’Allemagne est aussi structurée en réseau, son pivot se nomme Khaled Cheikh Mahamed et ses lieutenants de terrains s’avèrent être Ramzi ben al-Shibn, Walid ben Attash et Abd al-Nachiri.
Sageman (2004) révèle que les attentats perpétrés après ceux des deux ambassades américaines en Afrique en 1998 jusqu’à la fin de l’année 2001 ont tous sollicité la contribution des trois branches : la branche magrébine serait responsable en autres des opérations terroristes contre l’aéroport de Los Angeles (décembre 1999), du marché de Noël de Strasbourg (décembre 2000), de l’ambassade américaine à Paris (automne 2001), de l’attentat loupé de la « chaussure piégée » (décembre 2001) et du complot désamorcé de Singapour (décembre 2001) ; la branche du Proche-Orient et d’Allemagne quant à elle, serait à l’origine de la préparation de l’attentat du 11 septembre 2001 et des attaques ménées contre les navires américains, le USS The Sullivans et le USS Cole (janvier et octobre
2000) ; la branche du Sud-Est asiatique serait derrière les attentats sur les églises en Indonésie et de ceux de Manille (décembre 2000).
L’étude de ces attentats fait dire à Sageman (2004) que les mêmes individus (pivot ou nœud névralgique) pour chacune des branches se trouvaient sollicités dans tous les attentats. Par exemple, si nous prenons la branche maghrébine, Zayn Hussein aurait été le coordinateur central à Al-Qaida pour les cinq opérations terroristes. Fateh Kamel et Amar Makhloulif auraient joué le rôle de coordinateurs de terrain.
Généralement, le bureau central était mis au parfum de ce qui était en train de se tramer parmi les différents projets en cours, mais il ne s’immisçait pas dans les opérations, c’était habituellement le propre des hommes de terrain. Chaque branche était libre de toute dépendance des autres, c’est-à-dire qu’elle se gouvernait par ses propres objectifs. L’infiltration de l’une d’entre elles ne pouvait émettre aucune information sur les autres. Le développement et la création de liens sociaux faisaient en sorte que les branches pouvaient s’épanouir et prospérer (Sageman, 2004).